dimanche 5 octobre 2014

YSL ou Saint Laurent ?

Quand j'étais petite, ce que je trouvais cool au sujet des princesses, ce n'était pas le prince charmant, ce n'était pas attendre d'être libérée ou encore la vie de rêves. Non, ce qui me faisait vraiment kiffer, c'était les robes. Et je passais des heures à faire faire des défilés de mode à mes poupées Barbie (quel drame quand je perdais l'une des chaussures !) ou encore à dessiner des robes de soirée. 



Je m'imaginais styliste ou couturière dans une enseigne de mode. Depuis j'ai grandi, je ne sais même pas coudre, mais j'ai toujours un certain intérêt pour la mode.

Alors quand on annonce non pas un mais deux films sur ce monstre de la haute couture qu'était Yves Saint Laurent, je suis aux anges.



D'un côté, une version plutôt propre et lisse (édulcorée?) réalisée par Jalil Lespert. De l'autre, une version un tantinet plus poisseuse réalisée par Bertrand Bonello (L'Apollonide, pour situer l'univers du monsieur, c'était lui).

Soyons clairs, je ne parlerai pas vérités historiques ni ne pinaillerai sur des détails, pour la simple et bonne raison que je ne me suis pas documentée sur la vie de l'homme. Ce qui m'intéresse, ce sont les perceptions cinématographiques que provoque un seul et même personnage.

Ma préférence va sans conteste à la version de Bonello, que je trouve certes plus crue, mais également plus audacieuse et plus léchée visuellement. Néanmoins, la version Lespert reste plaisante à visionner, même si plus consensuelle. 

Parlons d'abord de l'univers esthétique et artistique. YSL (et Pierre Bergé, cela va sans dire) ont basé leur relation sur une passion commune : l'art. Ils se sont constitué un patrimoine impressionnant, il était donc logique que cela soit abordé. Lespert y voit un gouffre financier dans lequel s'engouffre le couturier comme un enfant capricieux chaperonné par un Pierre Bergé qui fronce (un peu) le sourcil face à l'insouciance financière de son "protégé" - ainsi on voit YSL entrer chez un antiquaire et acheter une statue de Bouddha sans demander une seule fois le prix comme on irait acheter une baguette de pain. Cet amour de l'art est bel et bien présent chez YSL, mais au final, la collection apparaît moins comme le fruit d'un partenariat entre les deux amants que comme l'aboutissement de l'empire de Pierre Bergé. A contrario, Bonello insiste sur l'importance que cette collection avait pour YSL. C'était à la fois une source d'inspiration pour ses créations mais également et surtout un réel besoin de se savoir entouré d'un certain faste esthétique, de pouvoir s'y nicher pour se prémunir de la laideur du réel.

A ce titre, les choix interprétatifs sont très révélateurs. Pierre Niney - bluffant par son mimétisme - choisit de se fondre dans une version très vulnérable et enfantine de son personnage (il y a bien quelques scènes dans un club SM / échangiste pour montrer que c'était quand même un petit dépravé histoire de coller à la réalité du bonhomme, tout de même). Ici, l'homme, le vrai, c'est Pierre Bergé. Et pour être encore plus clair, Lespert insiste sur la bisexualité et la violence physique dont est capable le personnage. Avec Gaspard Ulliel, Bonello assume le côté mante religieuse dévastatrice d'YSL, et en fait un monstre de sensualité pour qui l'autre n'est en définitive qu'un moyen d'assouvir ses désirs, ses caprices et ses fantasmes, que cela soit dans le domaine privé ou professionnel. Ainsi, le chien adoré Moujik en paiera le prix fort de manière assez grotesque. Mais finalement, avec la complicité de son entourage, Moujik deviendra un numéro.



La trame narrative diffère d'un film à l'autre. Là où Lespert tente de donner du sens au parcours d'YSL (clairement déchiré par ses origines Pied-Noir, malmené par  sa maladie, tourmenté par son identité sexuelle) , Bonello choisit d'en montrer les étapes clés. Par exemple, Lespert sous-entend que la géniale collection automne-hiver 1976 est l'aboutissement de la carrière d'un homme fatigué, presque un chant du cygne. En revanche, Bonello y voit un second souffle, une renaissance artistique d'un homme certes usé mais qui n'a pas dit son dernier mot. Ici, pas de faux-semblant, et au stupre des années de jeunesse succèdent les années du ridicule, celles d'un vieux beau sénile perdant le sens de l'esthétique et de l'élégance (ce blond "Johnny"...) jusqu'au souffle final. Lespert s'est refusé à montrer le couturier dans ses vieux jours, préférant une vision plus romantique, celle de l'artiste qui s'est brûlé les ailes par ses excès (ainsi, le voici jeune, qui s'effondre avec panache dans les bras de l'employée de maison dans la somptueuse demeure marocaine).

Finalement, on a reproché à Lespert d'avoir réalisé une commande pour Pierre Bergé. Et après avoir vu la version Bonello, cela semble se confirmer. Bergé y a souvent le beau rôle (l'amant indéfectible, manipulateur également mais toujours à des fins nobles). YSL, de son côté, n'est finalement pas plus qu'un enfant capricieux désireux de trop bien faire mais trop fragile pour y arriver seul. Toutes ses odieuses manœuvres y sont justifiées d'une manière ou d'une autre (sa jeunesse, la dépression, la pression exercée sur un génie si jeune...). C'en est parfois rageant. A contrario, Bonello est sans concession, et l'anecdote avec la couturière enceinte résume bien le personnage : il n'a lui-même aucune morale mais attend d'autrui d'être sans faille. Et pourquoi en serait-il autrement, puisque son entourage se montre si conciliant, parfois obséquieux face à ses désirs, aussi déraisonnables soient-ils? Quant à Pierre Bergé, il est beaucoup moins présent, et dans cette version, il ne tient pas les cheveux de son amant défoncé pendant qu'il vomit ses tripes. Non: il fait la seule chose sensée, il part pour se préserver.

Un dernier point me semble important, c'est la vision de la femme dans chacune des versions. Lespert, assez pudiquement, évoque les collaboratrices d'YSL, mais jamais vraiment les mannequins, à l'exception du personnage de Charlotte Le Bon, à la fois mannequin vedette et actrice de la naissance de la maison YSL. Et ce personnage à la fonction un peu fluctuante renvoie justement à la condition de mannequin, à qui on ne demande qu'une seule chose, porter les vêtements et se taire (la scène où elle est sèchement remise à sa place devant une délégation japonaise lors d'une présentation, et ce malgré son statut, est magistrale). Cela va jusqu'à sa coupe de cheveux et son désir de suivre une tendance autre que celle dictée par YSL. Et le différend qui l'oppose à YSL - elle a couché avec / a été utilisé par Bergé pour se venger du couturier de manière assez mesquine - aura sa tête. Car de façon détournée, ce qui est évoqué ici, c'est son statut d'objet (sexuel?) : même si on lui fait croire qu'elle a réussi et qu'elle a son mot à dire, elle sera remerciée et disparaîtra complètement dès lors qu'elle aura l'outrecuidance de se tromper ou même de s'exprimer.

Étrangement, sur ce sujet, Bonello est plus nuancé. Les femmes sont exclusivement montrées comme des collaboratrices précieuses ou à la rigueur des muses (femmes oisives, utilisant plus ou moins les faveurs de Saint Laurent à leur avantage), mais le dictat de la mode n'est abordé pleinement que dans la scène des sourcils. On y voit un mannequin subissant la pince à épiler rageuse d'une couturière, qui s'excuse et se justifie en invoquant les exigences du maître. Plus subtile, le propos pourrait presque passer inaperçu. Le vrai jeu de domination s'exerce entre les amants (à ce titre, Louis Garrel est éblouissant). Pour Bonello, Yves Saint Laurent semble être un film qui parle avant tout des hommes.

Pour conclure, je dirais que si l'on cherche une vision académique, en phase avec la vague des biopics récents, la version de Jalil Lespert est honorable. Néanmoins, si l'on souhaite un cinéma plus exigeant, avec un parti pris esthétique et sans concession, la version de Bonello s'impose.

Quoiqu'il en soit, les bandes originales sont toutes deux excellentes et à écouter sans modération.








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